samedi 29 octobre 2011

LAISSER ENNAHDHA SE DEBROUILLER SEULE

Lettre parue dans : Kapitalis 
et dans : Ifriqiya Magazine

Pourquoi Ennahdha tend-t-il la main aux autres partis et souhaite-t-il une large coalition ? D'abord parce qu’il n'a pas la majorité et qu'il doit nécessairement s'allier. Ensuite, parce qu’en faisant alliance, il trouble le jeu et enlève aux partis laïcs leur marque et cela en vue des très prochaines élections (législative et présidentielle).
Ennahdha a, quant à lui, une bonne visibilité. Alors que les autres partis perdront toutes particularités dans l'alliance avec Ennahdha.
Par ailleurs si les résultats ne sont pas là, et c'est certain (le temps est trop court), il ne sera pas possible d'imputer l'échec à Ennahdha : chacun sera dans la même position aussi bien Ennahdha que le parti allié.
Dés lors une large coalition est tout bénéfice pour les islamistes, alors que les autres partis ont tout à perdre.

La démocratie a besoin de clarté : par l’existence claire d’une majorité mais aussi d’une opposition claire elle aussi. Car l’existence d’une opposition claire est la condition de la possibilité d’une alternance du pouvoir qui est la caractéristique d’un régime démocratique.

Or les résultats des élections Tunisiennes à la Constituante ont donné à Ennahdha la place indiscutable de premier parti politique dans le pays. Mais ce parti, tout en étant le premier, n’a pas la majorité nécessaire pour gouverner seul. C’est la raison pour laquelle depuis que le résultat est connu, ce parti parle d’alliance et tend la main aux autres partis en parlant de gouvernement de coalition.

Certains soutiennent cette idée de gouvernement de coalition en prétendant qu’il faut dépasser les clivages dans l’intérêt supérieur du pays. Il est vrai que, dans certains cas de grandes difficultés, il est nécessaire que des forces politiques se coalisent pour faire face aux défis.
Est-on dans ce cas ? Et les partis « non religieux » ou certains d’entre eux, doivent ils s’allier à Ennahdha ?

Je pense que ce serait une très lourde erreur et que les partis qui s’allieraient à celui d’Ennahdha ne tarderaient pas à en payer le prix.
- Une erreur d’abord, parce que pour faire une alliance, il faut un programme minimum commun.
Or la différence entre des partis qui se fondent sur la religion et les autres, est à ce point fondamentale que ce serait le mariage de la carpe et du lapin…Dans une telle alliance l’un des participants doit renoncer à l’essentiel. Et soyons sûr que ce ne sera pas les islamistes.
- Plus grave encore, une telle alliance va banaliser le parti islamiste et lui permettre de se renforcer pour rebondir plus fort plus tard et lui donner ainsi l’opportunité de ne plus avoir besoin dans l’avenir de cette alliance. Le parti qui se sera alors allié avec Ennahdha, sera le dindon de la farce.
- Il ne faut pas oublier enfin qu’il va y avoir dans un très proche avenir (environ un an), des élections législative et présidentielle ; et que si des partis s’allient avec Ennahdha ils supporteront l’échec prévisible de ce gouvernement. Car il est vain de croire que les problèmes, notamment économiques de la Tunisie, seront réglés en un an par ce gouvernement.
- L’alliance permettra à Ennahdha de récuser sa responsabilité dans cet échec à l’égard de la désillusion des Tunisiens.
- Enfin en s’alliant ainsi, ces partis « non religieux »  perdront leurs marques propres alors que Ennahdha est un parti fortement identifié et qu’il en sortira renforcé.

Je pense donc qu’il faut laisser le pouvoir à Ennahdha qui trouvera, sans doute, quelques petits partis pour compléter sa majorité. Mais les autres doivent rester dans une opposition claire, déterminée et qui pourra, le moment venu, offrir aux tunisiens une alternative crédible, ce qui ne sera absolument pas le cas, en cas d’alliance.

Rachid Barnat


vendredi 28 octobre 2011

LETTRE OUVERTE AUX NOUVEAUX ELUS


Lettre parue dans : Kapitalis

Vous venez d’être élus à l’Assemblée Constituante, au terme d’une période révolutionnaire et à la faveur d’un scrutin historique qui a été à la fois transparent pour la première fois de l’histoire de la Tunisie et qui a vu une participation magnifique qui montre l’attachement des Tunisiens à la liberté de vote ; ce qui vous donne une très grande légitimité. Une fois de plus les tunisiens auront étonné le monde entier par l’engouement (plus de 90 % des inscrits) qu’ils ont manifesté pour ces élections, après l’avoir étonné par leur révolte par laquelle ils ont chassé leur dictateur.

Vous mesurez, je le pense, le rôle historique que vous allez jouer et, du coup, la responsabilité immense qui est la vôtre, à chacun d’entre vous, à l’égard du peuple Tunisien. Au moment où vous allez rédiger ensemble la nouvelle Constitution du pays, sachez que vos enfants vous regarderont agir et que vous aurez à leur rendre des comptes. Essayez donc d’être à la hauteur des enjeux qui sont de donner à vos enfants un pays qui leur permettra de s’épanouir et de progresser.

Je pense  que vous  avez tous la volonté de faire le mieux pour votre pays et je voudrai vous rappeler quelques règles simples qui devraient, selon moi, guider votre action.
Il faut d’abord que vous ayez conscience que vous n’allez pas, dans l’immédiat, agir sur la vie politique au jour le jour mais que vous allez réfléchir et voter sur les règles d’organisation des pouvoirs car ce sont ces règles qui ensuite permettront d’organiser une vie politique riche et porteuse d’espoir.

Que veulent les Tunisiens ? En faisant leur révolution et en chassant le dictateur, ils ont adressé quelques demandes simples :
- Ils ont souhaité d’abord la liberté. Ils ont dit qu’ils ne voulaient plus vivre dans la peur et dans le silence.
- Ils ont ensuite dit qu’ils voulaient éradiquer la corruption sous toutes ses formes et permettre l’existence d’un véritable Etat de droit.
- Ils ont dit enfin qu’il fallait mettre un terme au déséquilibre économique trop profond entre les régions et entre les différentes classes sociales.
Je ne crois pas trahir les aspirations du peuple tunisien en les résumant en ces trois demandes essentielles.

Je voudrai vous dire que pour parvenir à les satisfaire, la Constitution devra respecter un certain nombre de principes essentiels :
- Si l’on veut que la liberté réclamée par le peuple existe réellement, il faut que l’on ne passe pas d’une dictature à l’autre. Or cela exige selon moi que la Constitution se réfère expressément à la Déclaration Universelles des droits de l’homme qui n’est pas réservée à l’Occident mais, comme son titre l’indique, à l’ensemble des hommes.
- Si l’on veut éradiquer la corruption et éviter qu’elle ne gangrène, à nouveau, la vie du pays ; il faut que la Constitution organise une Justice indépendante, disposant de réels pouvoirs et que, nul dans le pays, ne soit à l’abri de cette Justice.
- Enfin, la Constitution devra organiser la vie des régions de manière à assurer un égal développement pour chacune d’elle.

Voilà, me semble-t-il, les principes qui devront guider vos choix. Vous devrez éviter les compromissions, les demis mesures pour satisfaire chacun.
Soyez fermes sur ces principes et le peuple Tunisien vous en sera reconnaissant.

Rachid Barnat


LE JOUR "J" DES ELECTIONS POUR LA CONSTITUANTE



A voté !



Le bulletin de vote : presque un journal !

Pour mon premier vote en Tunisie, je me suis rendu à Tunis même pour accomplir ce geste citoyen tant attendu et tant rêvé par beaucoup de tunisiens. Le dimanche 23 octobre j'ai fait un petit tour en voiture avec ma soeur. Et toutes les écoles devant les quelles nous étions passés depuis chez elle (la Mannouba) jusqu'à Mutuelleville, nous étions surpris de voir l'importante affluence matinale et dominicale des électeurs vers les bureaux de vote. 






Pour voter, faites la queue !


Puis je me suis rendu à mon école de la place Mandés France à Mutuelleville pour voir comment ces premières élections post révolution seraient vécues par les tunisiens. 




A mon grand étonnement, les tunisiens ont répondu présent en masse. Ce qui démontre bien leur soif de démocratie. J'étais surpris de voir dés 8 h du matin une queue longue de deux pâtés de maisons, et des rues encombrées de voitures dans tout le quartier de mon ancienne école. Cela faisait chaud au coeur. J'y suis retourné avec ma soeur pour accomplir mon devoir, et à ma grande surprise je croise à ancien camarade d'école et de quartier, devenu très jeune le premier champion incontesté des jeux aux échecs de la Tunisie : maître Slim Bouaziz.






Découragé de voir une si longue queue pour voter, il s'en retournait chez lui pour revenir plus tard dans l'après midi. Je l'ai encouragé pour m'accompagner et faire la queue comme tout le monde. 






Une autre surprise m'attendait : les tunisiens faisaient la queue parfois pendant 3 à 5 h sans rechigner, dans le calme et avec une discipline étonnante. Une ambiance de fête régnait tout le long de la queue des votants. Les gens se parlaient sans se connaître. On sent la parole  libérée : plus de méfiance des uns des autres. C'était jubilatoire de voir les tunisiens débarrassées de la peur que leur avait inoculée ZABA. 






Deux dames qui faisaient la queue avec moi,  ma soeur et mon ami Slim, se sont intégrées à notre discussion. Slim toujours original et drôle, m'apprend son engouement pour le tango qu'il découvre. Son souhait est de créer une école de tango à Tunis. Nous en avons beaucoup ri. L'une des dames m'a dit son émotion de nous voir Slim et moi évoquer notre enfance et parler de projets pour une Tunisie nouvelle; et de nous voir rire de nos souvenirs. Elle nous a dit que nous évoquions pour elle l'image même du tunisien dans sa bonhomie, sa gentillesse et sa courtoisie qui font sa spécificité alors que certains voudraient l'inclure dans d'autres identités (arabomusulmane) loin de la nôtre ; faisant allusion au discours identitaire de Ghannouchi et des siens. 
Un instant on se serait cru en mai 68. 


Au lendemain j'apprends que le taux de participation atteindrait les 90% des inscrits ! A la TV  tunisienne, un représentant de la ligue arabe disait son étonnement et sa grande surprise devant le déroulement des élections. Il disait que les tunisiens donnent une leçon aux peuples arabes : de civisme mais aussi de discipline.  
Malheureusement les forces rétrogrades (financées et soutenues par le Qatar et autres monarques saoudiens) ont eu 90 sièges sur les 217. Des analystes politiques expliquent que l'erreur faite par les démocrates progressistes était de n'avoir pas été porter leur parole auprès des gens pauvres du fin fond du pays. Ce qu'Ennahdha a su faire. D'autres parts beaucoup d'irrégularités ont été commises par ce partis en dépit des règles électorales, mais qui n'ont pas fait l'objet de poursuite en annulation du scrutin de peur, j'imagine, de victimiser ses membres ! Dans  certains centres des témoins rapportent que les personnes âgées étaient parfois accompagnées dans l'isoloir par des membres d'Ennahdha qui supervisent le "bon" déroulement des élections, pour les aider à cocher la bonne case.


J’espère que cet engouement des tunisiens pour la liberté et la démocratie sera préservé par les partis minoritaires : il leur suffit de s'unir pour faire front à Ennahdha, qui se voit déjà au pouvoir et le fait croire aux petites gens. Alors qu'il y aura d'autres rendez-vous électoraux pour les législatives et pour la présidentielle. 
Espérons aussi que les partis progressistes tireront les leçons de leurs échecs lors de ce premier rendez-vous avec les tunisiens libres.


Rachid Barnat

HUMEURS SUR UN BATEAU ......

Il est curieux que ceux qui votent Ennahdha continuent à vivre dans un Occident décrié par leur parti. A commencer par leur chef : Ghannouchi le salafiste, a choisi pour exil l'Angleterre, alors que des pays où des salafistes sont au pouvoir, ne manquent pas dont le Soudan dont il admirait son président et sa politique et qui lui a remis un passeport soudanais ! Leur hypocrisie est révoltante. Pour l'illustrer, je rapporte un débat auquel j'ai assisté fortuitement à table dans le restaurant du "Carthage" qui me ramenait à Tunis, entre un jeune couple vivant à Rouan, elle née en France, lui l'ayant épousée pour pouvoir venir travailler en France; et tous les deux pro Ennahdha; avec une belle brune tunisienne née en France, mariée à un suisse et vivant en Provence. Cette dame était ahurie des absurdités que débitait la dame du jeune couple qui ne cessait de commenter la condition de la tunisienne avec ses "on dit que..." , pour conclure dans le sens de son mari de ce qui est "halel" (licite) et de ce qui est "haram" (illicite), alors qu'à l'évidence elle n'a aucune culture ni religieuse ni tunisienne mais prenant aveuglément les arguments de son mari pour de l'argent comptant. Il n'a cessé de critiquer l'Occident. A la fin, la dame brune excédée, dénonce l'hypocrisie du mari en lui disant que son mariage a tout l'air d'un mariage "arrangé" pour venir travailler en France. Il est vrai que sa femme est grosse et dénuée de toute beauté. Elle lui demande par respect pour le pays qui l’accueille de cesser son dénigrement des occidentaux qui le font vivre; sinon qu'il soit cohérent avec lui même et qu'il retourne en Tunisie avec sa femme qui partage ses idées bien que née et n'ayant vécue qu'en France, si l'Occident est tant, qu'il le décrit, infréquentable ! Logiquement, lui dit-elle, il devrait vivre parmi les siens en Tunisie qu'il décrit futur paradis avec Ennahdha au pouvoir.


C'est lors de la traversée, que j'apprendrai la fin de la momie Kaddahfi. Un grand ouf de soulagement ! 
Depuis la révolte des tunisiens, ce tyran constituait une réelle menace pour notre révolution. Tant qu'il était en vie, son pouvoir de nuisance pour la Tunisie, dont il était l'ami de son tyran ZABA, m'inquiétait beaucoup.
Il aura fini comme un rat, piétiné par son peuple qu'il traitait de rats et qu'il piétinait comme tels.
Mon espoir est que les libyens optent pour une réelle démocratie. Nos deux peuples peuvent se soutenir mutuellement, car liés par une histoire commune. Et les milliers de réfugiés en Tunisie ont beaucoup apprécié l’accueil que leur avaient réservé les tunisiens, eux-même dans la difficulté. Ils s'en souviendront, j'en suis sûr. 
Vivement que les syriens et les yéménites en finissent avec leur tyran eux aussi.   


Rachid Barnat



samedi 8 octobre 2011

LA COMPAGNE ÉLECTORALE ET LA PUB : un jeu de dupe.

Article paru dans : Kapitalis

La compagne électorale officielle pour la Constituante a déjà commencé. Il semble que les partis en lice jouent le jeu et semblent respecter les règles qui ont été élaborées pour parvenir  à un scrutin sans tâches. 

Il y a, cependant, un parti qui détourne l'interdit de la publicité pendant la compagne électorale officielle, puisque des chaînes étrangères la lui assure et de manière assidue. 

Il s'agit d'Ennahdha et des chaînes qataris comme Aljazeera, ou la chaîne Elhiwar TV, dont un des journalistes, le tunisien Saleh Lazrak, ne se prive pas d'évoquer le nom Ghannouchi à tout propos, de l’encenser; allant jusqu'à lui accorder d'intervenir par téléphone dans ses émissions, ou de passer en boucle des images de lui. Quand on connaît la popularité de ce journaliste auprès des téléspectateurs, on peut imaginer l’influence qu’il peut avoir sur eux, par son choix on ne peut plus clair.
Sans oublier que cette chaîne a passé in extenso, et ce, à plusieurs reprises l'assemblée lors de laquelle Ennahdha a annoncé officiellement son programme !

Quand on sait l'impact du son et le choc des images, on comprend que ces moyens subtils mis au service d'un parti pris de ces chaînes, ne sont  que de la publicité qui ne dit pas son nom pour le parti Ennahdha et pour son chef Ghannouchi, que ces deux chaînes veulent soutenir. 

C'est une ingérence étrangère dans la vie politique tunisienne, intolérable et la supercherie de Ghannouchi qui se prête à leur jeu est révoltante. Il est malhonnête de se prêter à ce jeu de dupe.

Comment dans ces conditions s’étonner de la « popularité » de son parti quand on sait que les deux chaînes en question sont « regardées » par un public nombreux.
Je dis clairement qu’il existe une distorsion de la concurrence et de l’égalité entre les partis et que les pouvoirs publics doivent agir et rapidement.
J’ajoute et j’invite les juristes à se pencher sérieusement sur cette question. N’y aura-t-il pas là matière  à annulation des élections ?
Le pouvoir politique qui a donné des autorisations d’émettre à cette chaîne doit se faire respecter et l’inviter fermement à ne pas s’ingérer dans les élections en Tunisie !
L’information : oui ! La propagande : non !

Rachid Barnat